UNE NOUVELLE GAUCHE PROGRESSISTE EST EN TRAIN DE NAITRE AUX ETATS-UNIS AVEC LA CAMPAGNE TRES POSITIVE DE BERNIE SANDERS...
Bernie sanders (Photo Gage Skidmore/Flickr)Jusqu’il y a peu, le nom de Bernard « Bernie » Sanders n’était pas très connu de ce côté-ci de l’Atlantique. Mais aux Etats-Unis, le candidat de gauche à la présidence est depuis des mois un véritable phénomène.
La presse internationale n’a commencé à porter une réelle attention à Bernie Sanders qu’au mois de janvier, lorsqu’il a talonné Hillary Clinton dans les sondages pour les primaires du Parti démocrate. Pour les commentateurs politiques et pour le public américain cependant, la montée constante de l’atypique sénateur du Vermont n’est plus une surprise depuis longtemps. Des centaines de milliers de personnes sont déjà allées écouter ses discours et, en décembre, les lecteurs de Time Magazine l’ont même élu personnalité de l’année 2015. Qui est donc Bernie Sanders, et quel est son secret ?
« Personne ne devrait vivre dans la pauvreté en travaillant 40 heures par semaine. » Quand on visite le site électoral du candidat président Bernie Sanders, on est d’emblée face à de très claires prises de position politiques. No bullshit (pas de bla-bla), tel est son style. Depuis qu’il siège comme candidat indépendant au Congrès – depuis les années 1990 –, Sanders proclame le même message : par la cupidité des banquiers de Wall Street, l’inégalité sociale ne fait qu’augmenter ; tout l’establishment politique, tant démocrate que républicain, sert avant tout les intérêts des riches, ce qui entraîne depuis les années 1980 une véritable redistribution de richesse de la classe moyenne et des pauvres vers les super-riches. Comme solution à la « disparition de la classe moyenne », Sanders prône le modèle scandinave, qu’il appelle socialisme démocratique.
Par ses incessantes attaques sur la « classe des milliardaires » et son usage sans détour du mot socialisme, sur lequel pèse depuis septante ans un énorme tabou politique, Sanders se profile très clairement à gauche dans le climat de droite des Etats-Unis. C’est une des raisons pour lesquelles il n’a longtemps pas été considéré comme ayant une chance sérieuse à l’investiture pour la candidature à la présidence. Egalement sur le plan de la communication, Sanders, 74 ans, a dû s’adapter aux médias modernes. Il fallait qu’il remédie à son image de « vieux grincheux » qui tonne en permanence contre l’un ou l’autre problème de société et qui ne rit presque jamais. Depuis le coup d’envoi de sa campagne en mai 2015, il a dû apprendre à rire devant les caméras, à prendre des selfies avec les fans et à placer des petites phrases humoristiques dans ses discours. Avec son équipe de bénévoles et le soutien d’innombrables petits dons, il dispose depuis d’un nouveau matériel de campagne et d’un site internet professionnel, d’une page Facebook et d’un compte Twitter. Sur le réseau social Reddit, il est d’ailleurs plus populaire que les petites vidéos de chats amusants. Pour Bernie Sanders, the game is on.
Que Sanders ait aujourd’hui une chance de devenir candidat à la présidence – et en plus pour le Parti démocrate envers lequel il s’est toujours montré si critique – n’est pas une évidence au vu de son parcours. Comme il aime lui-même à le rappeler, il n’est pas le genre de candidat à avoir été préparé durant toute une vie à la plus haute fonction. « Quand on a grandi dans un appartement de 3,5 pièces à Brooklyn, ce n’est pas ce qu’on vous apprend à croire », a-t-il précisé. Sanders est donc d’origine modeste mais, tout jeune déjà, il s’est intéressé à la politique.
« La révolution politique n’est pas possible, même si je suis élu, si des millions de gens ne sont pas actifs dans le processus politique »
Pendant ses études de sciences politiques à l’université de Chicago, Sanders a adhéré au mouvement de jeunes du Parti socialiste d’Amérique, déjà moribond à l’époque. Selon ses propres dires, il n’était pas un excellent étudiant mais, en tant qu’activiste politique, il s’est révélé un leader marquant du mouvement étudiant dans la lutte contre la ségrégation raciale. En 1962, il a organisé une grande manifestation étudiante pour l’égalité des droits à l’université de Chicago et, un an plus tard, il participait à la légendaire Marche sur Washington, au terme de laquelle Martin Luther King a prononcé son célèbre discours I have a dream. Par ailleurs, il défendait également une morale sexuelle plus libre. Actif sur plusieurs fronts donc, il a cependant toujours souligné le lien avec l’inégalité économique.
Après ses études, il a poursuivi ses activités de militant tout en visant une carrière politique. Ses premières tentatives pour décrocher un mandat politique ont toutefois échoué. Son collectif de menuiserie et charpente, censé être un gagne-pain temporaire jusqu’à une victoire électorale, n’a pas non plus été un succès. C’est sans ressources qu’il est alors parti chez un ami professeur à l’université du Vermont, à Burlington. Il s’est ainsi installé dans cet Etat idyllique et peu densément peuplé qui, dans les années 1970, était une sorte de refuge pour les anciens hippies. En 1981, Sanders a tenté sa chance pour la mairie de Burlington où, après six élections gagnées, le maire sortant démocrate ne prenait plus la peine d’encore mener une vraie campagne. A l’étonnement général, Sanders a remporté la mairie, avec seulement dix voix d’avance. Le soutien du syndicat de la police s’est avéré déterminant dans sa victoire.
Champion des amendements au Congrès Sanders a immédiatement mis en œuvre un aménagement du territoire à la mesure des citoyens, s’opposant à plusieurs projets de construction de grands promoteurs immobiliers. Six ans et trois réélections plus tard, il a été proclamé un des meilleurs maires du pays par U.S. News. En 1990, il a été élu délégué de l’Etat du Vermont au Congrès, devenant ainsi le premier depuis quarante ans à siéger en tant que candidat indépendant. En 2006, il est devenu sénateur. Au Congrès, Sanders était plutôt un franc-tireur. Vu ses attaques constantes contre les deux grands partis au pouvoir et le fait qu’il se revendique « socialiste », il a eu des difficultés à être pris en considération par ses homologues du Capitole en costume sur mesure. « Le vieux grincheux » a choisi de jouer à fond le jeu parlementaire et s’est ainsi bâti une réputation de sérieux. Il a introduit tellement d’amendements – plus que tous les autres membres du Congrès – qu’il a été surnommé Amendment King, le roi des amendements.
Grâce à sa culture politique rafraîchissante et malgré son étiquette controversée de socialiste, Sanders n’a fait que gagner en popularité dans son Etat du Vermont. Son élection à la mairie a coïncidé avec l’élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis et au grand virage à droite dans la politique nationale. Sanders, lui, a pris son mandat comme un engagement social et s’est basé sur la participation citoyenne. Dans l’Etat progressiste du Vermont, cette attitude inverse a été appréciée. Sa sympathie pour les théories socialistes a plutôt été éclipsée. En tant que membre du Congrès, il s’est d’ailleurs montré assez pragmatique dans plusieurs dossiers et n’a pas hésité, malgré sa position anti-guerre, à accueillir l’industrie de l’armement à bras ouverts au Vermont. Le programme controversé de F-35 de Lockheed-Martin peut également compter sur son soutien, parce que l’entreprise pense à utiliser sa ville de Burlington comme implantation.
En revenant toujours sur les soucis réels de millions d’Américains, Sanders touche une corde sensible
Avec un quart de siècle d’expérience au compteur, Bernie Sanders est le politicien indépendant qui a siégé le plus longtemps au Congrès dans toute l’histoire américaine.
Vieux routier de la politique locale et nationale et avec le soutien d’une large base dans son Etat, Sanders a pris en mars dernier l’improbable décision de participer à la course à la présidence. Il a tout de suite annoncé que c’était très sérieux : « Je participe pour gagner. » Les candidats indépendants à la présidence ne comptant tout simplement pas dans les médias américains, il a dû rejoindre le Parti démocrate. Fait absolument exceptionnel, sa campagne n’est pas financée par le grand capital ; elle repose entièrement sur les petits dons de plus d’un million de militants à ce jour. Ceux-ci versent en moyenne 30 euros, ce qui fait que Sanders dispose (jusqu’à présent) de presque autant de moyens que la favorite à l’investiture démocrate Hillary Clinton.
La campagne de Sanders est un phénomène en soi. Il n’est pas un Obama qui séduit le public par des petites phrases réconfortantes, mais il connaît les préoccupations des Américains qui travaillent, et il recentre chaque débat sur les cruciales questions socio-économiques. Alors que les journalistes se plaignent souvent qu’il ne répond pas à leurs questions, ses partisans, eux, répliquent qu’il est bien le seul à répondre aux questions de la classe moyenne. « Feel the Bern » est leur slogan. Interrogé sur la raison pour laquelle il ne parle jamais de l’Etat islamique, Sanders a laconiquement répondu que les emplois, l’enseignement, les soins de santé et de meilleures conditions pour les gens qui travaillent étaient aussi des sujets importants. Et, en revenant toujours sur ces soucis réels de millions d’Américains, il touche clairement une corde sensible. Ces derniers mois, lors de sa tournée à travers le pays, il a attiré des centaines de milliers de fans, plus même que Donald Trump ou Hillary Clinton.
Cette dernière a choisi de faire comme si de rien n’était. Tant qu’elle était en tête dans les sondages, elle a tout simplement nié Sanders. Au début, les médias l’ont suivie dans cette attitude. En octobre, plusieurs journaux ont certes titré que Clinton avait gagné le premier débat télévisé entre les candidats démocrates, mais beaucoup d’analystes ont estimé que Sanders avaient fait une meilleure impression. Ce que semble confirmer le fait que, durant l’émission, Sanders ait eu presque trois fois plus de nouveaux « followers » sur Twitter. Depuis lors, Sanders comble peu à peu son écart dans les sondages. Dans l’important Etat de l’Iowa, où commencent les primaires, Sanders et Clinton sont maintenant environ au coude-à-coude et, dans le New Hampshire, Sanders a une large avance.
Le candidat de gauche à la présidentielle américaine, Bernie Sanders, a pris son mandat de maire comme un engagement social et s’est basé sur la participation citoyenne. (Photo Gage Skidmore/Flickr)
Il ressort de sondages spécialisés que Sanders aurait également un meilleur score que Clinton contre les candidats républicains. Hillary Clinton a balayé la menace d’une boutade : « Ah, ces sondages ! Une fois ça monte, une fois ça descend… » Et certes, dans les sondages nationaux, elle maintient son avance sur son grand rival. Pourtant, sous la pression de Sanders, Clinton s’est vu contrainte de se refaire quelque peu une image de progressiste en en faisant davantage que juste affirmer ses positions sur le féminisme et les droits des homosexuels. Mais là, elle est tout de même confrontée à un problème de crédibilité. La dénonciation de l’inégalité sociale croissante sonne un peu faux dans la bouche de l’ancienne first lady qui entretient de très bonnes relations avec l’élite économique. Qu’elle se montre désormais subitement critique envers les accords de libre-échange – un des chevaux de bataille de Bernie Sanders – parce que ceux-ci coûtent des emplois américains est pour le moins hypocrite, vu qu’elle a elle-même conclu de tels traités en tant que ministre des Affaires étrangères. Et le scandale sur ses e-mails privés révélé il y a deux ans continue de la suivre. Reste que le contraste entre sa politique de coulisses et l’engagement authentique de Sanders est gigantesque.
Sanders attire des centaines de milliers de fans, plus même que Donald Trump ou Hillary Clinton
Pour Sanders toutefois, le grand défi, c’est que son public est majoritairement blanc et se caractérise par un haut niveau d’instruction. Son plaidoyer pour l’enseignement supérieur entièrement gratuit est par exemple très bien accueilli parmi les nombreux jeunes Américains qui ont dû fortement s’endetter pour financer leurs études. L’ironie veut que beaucoup d’Américains peu instruits se laissent plus facilement séduire par Donald Trump qui, tout comme Sanders, dénonce la corruption dans la politique et se présente comme incorruptible... parce qu’il est déjà de toute façon immensément riche. Le syndicat national du personnel soignant a toutefois exprimé son soutien à Sanders. Clinton, elle, score cependant bien mieux chez les femmes, les homosexuels et les Noirs. La plateforme citoyenne « Black Lives Matter », créée suite à la violence policière contre des Noirs à Ferguson, a même perturbé en août un meeting de Sanders, lui reprochant de ne pas parler assez des problèmes spécifiques de la population noire. Sanders a depuis engagé un Noir comme porte-parole.
Bernie Sanders a-t-il ou non une chance ou pas de décrocher l’investiture ? Voilà qui divise les commentateurs. Mais, quoi qu’il en soit, l’impact de sa campagne est déjà important maintenant. « La révolution politique n’est pas possible, même si je suis élu, si des millions de gens ne sont pas actifs dans le processus politique », dit-il lui-même. Après septante ans de pensée unique libérale, des millions d’Américains se montrent à nouveau ouverts à une autre politique, à un autre système. « Socialisme » a été le mot le plus recherché dans le dictionnaire en 2015. Des centaines de milliers de jeunes qui ont grandi après la chute de l’Union soviétique sont curieux de savoir ce que recouvre ce mot. La gauche est de retour. Et Bernie Sanders a peut-être mis en route un processus de conscientisation pour toute une génération d’Américains qui regarderont plus loin que son socialisme démocratique d’après le modèle scandinave...
Article publié dans le mensuel Solidaire de février 2016. Abonnement.
Lien : http://solidaire.org/articles/bernie-sanders-de-vieux-grincheux-symbole-d-espoir
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Une gauche progressiste est en train de renaître sous nos yeux... aux USA (si, si) !
Photos comparées entre un meeting d'Hillary Clinton en haut et de Bernie Sanders dans l'Iowa en bas...
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